Interviews

Voila deux interviews de Pascal Zanon et Christian Vanderhaeghe. Le premier date de 1987 (à replacer dans son contexte...) et est paru dans le fanzine "Les Grands Anciens". Merci à Bruno COMMUN pour avoir retrouvé cet entretien peu connu !
Le second, plus récent (juillet 1999) est paru dans "La Lettre de Dargaud".

INTERVIEW fanzine "Les Grands Anciens"
1987

ZANON, VANDERHAEGHE et Jean RAY

Autres émules de Jean Ray, Pascal Zanon et Christian Vanderhaeghe. Ils sont belges, 2 fois. L'un dessine, l'autre pas. L'un vit avec ses chats, l'autre avec sa femme. Et ils étaient à Limoges, en février, à l'occasion de LIRE A LIMOGES.
"Les Grands Anciens", sans honte, les ont bombardés de questions pour leur émission radio sur R.T.F. (Radio Trouble Fête). Ci-après quelques extraits de cette conversation mondaine...

Grands Anciens : Pouvez-vous vous présentez ?
Pascal Zanon : Pascal J. Zanon, Jules pour les intimes, et pour les dames, particulièrement les blondes aux yeux bleus ; plus ou moins belge d'adoption : Italien d'origine, et accessoirement auteur de bandes dessinées, très mauvais dessinateur d'ailleurs, hélas. Mais je ferai des progrès, c'est promis.
G.A. : le scénariste ?
Christian Vanderhaeghe : le scénariste, c'est celui qui pense, qui écrit et qui tape sur le dessinateur pour qu'il suive mes idées, il le fait très bien d'ailleurs, et contrairement à ce qu'il dit, il dessine excessivement bien.
G.A. : Quel est le plus sérieux des deux ?
C.V. : le plus sérieux des deux, c'est le couple ! (Rires)
P.Z. : Que voulez-vous que je dise après çà ! (Rire)
G.A. : Harry Dickson est-il votre 1er travail en BD ?
P.Z. : Non, non. J'ai beaucoup travaillé pour moi dans le temps.
C.V. : dans les toilettes...
P.Z. : ... pour quelques petites revues genre Scout ou Historique, et quelques magazines bruxellois...
C.V. : Gai-Pied.
P.Z. : Dont l'Eventail (env. Points de vue) ou je tenais la rubrique des vieilles automobiles et j'ai été "nègre" pendant 4 ans chez Raymond Reding, je faisais les décors de Vincent Larcher, j'étais encore plus mauvais qu'à l'heure actuelle, j'ai fait des caricatures sportives pour le compte d'un quotidien bruxellois. J'ai présenté une BD chez Tintin "Adorable kiki" ; dans la foulée, j'ai essayé de fourguer une histoire de pirates, j'adore les flibustiers, on l'a d'abord accepté puis on l'a refusé, je me suis vexé et poussé par F.Walthery, je me suis présenté chez Spirou, où je me suis disputé avec Martens - à l'époque, j'étais très prétentieux, ce qui n'est plus le cas maintenant. Et un jour ce type (Vanderhaeghe) est venu me chercher pour dessiner ce que vous savez.
G.A. : Pourquoi avoir commencé l'adaptation par ces deux nouvelles ?
C.V. : La réponse est excessivement simple, ce sont les deux seuls fascicules de J. Ray qui se suivent sur les 178.
G.A. : Avez-vous connu personnellement J. Ray ?
C.V. : Non, mes beaux parents l'ont connu ; ils vidaient quelques bouteilles ensemble le soir au milieu des diables...
G.A. : On retrouve dans un album la célèbre phrase de J. Ray à propos "du jusant et du remugle du cualtar", est-ce une tentative pour re-capturer l'atmosphère du maître ou simplement un clin d'oeil ?
C.V. : non, je n'ai jamais eu cette richesse de vocabulaire, c'est un clin d'oeil bien entendu, mais en BD, les textes sont relativement très courts, et en fin de compte on ne prend rien de J. Ray, excepté ce clin d'oeil.
G.A. : Vous travaillez beaucoup d'après photos, on retrouve là, la manière de travailler de Jacobs...
P.Z. : Ah ! Ah ! Je le vois venir... A ceci près que le pauvre Edgar avait sûrement moins de moyen que nous, et nous avons en plus bénéficié d'un certain recul, qui nous a permis de démarrer avec un canevas plus riche que le sien.
G.A. : La question classique, que doit Harry Dickson à Jacobs ?
P.Z. : Bon, je suis bruxellois et on est toujours influencé par ce qu'on aime, j'aime bien les oeuvres de Franquin, de Jijé, mais j'ai été toujours plus attiré par des gens comme Hergé ou Jacobs. J'aime aussi beaucoup la Renaissance Toscane et Martin, Hergé et Jacobs se rapprochent le plus de mes goûts personnels, de plus ils avaient les mêmes goûts à peu près que votre Serviteur alors il est fatal qu'au bout du chemin, on se rencontre.
G.A. : Connaissez-vous les autres adaptations en BD de J. Ray, à savoir la série des Edmond Bell ?
C.V. : Bien sûr, puisque j'ai débuté dans ce métier avec Claude Lefrancq et nous nous sommes associés en créant les Editions Blake et Mortimer, et j'ai aussi rencontré Follet que j'aime beaucoup, il a énormément de talent, mais il est avant tout un illustrateur, et pour lui, la BD c'est le second volet de son talent, qu'il travaille moins.
G.A. : Le prochain Harry Dickson, c'est bien sûr "Les 3 Cercles de l'Epouvante", or c'est une nouvelle assez abracadabrante, éloignée du réalisme des 2 précédentes aventures.
C.V. : C'et un peu un pari, je vais reconstruire la nouvelle de Ray, et l'idée m'en est venue après avoir lu un livre : la 731e section qui raconte l'époque d'une section japonaise en Mongolie faisant de la recherche sur les armes chimiques et bactériologiques dans les années 30. C'est un prétexte pour amener Harry Dickson de Hong Kong en Mandchourie.
G.A. : Toujours l'élargissement du cadre Londonien ?
C.V. : Oui, mais J. Ray a un peu coincé son personnage dans les rues de Londres et ne me voyais mal avec Pascal adapter 20 bouquins dans les rues de Londres. C'est un peu limite dans les décors.
G.A. : Est-ce que Zanon pourrait parler de Vanderhaeghe ?
P.Z. : en bien ou en mal ?
G.A. : en mal.
P.Z. : Il n'y a pas moyen de faire autrement. Christian est le prototype du belge typique, truculent, savoureux, aimant les dames, aussi avec les qualités du Belge, c'est un travailleur acharné, méticuleux et m'a replongé dans le monde le la BD que j'avais oublié... C'est bien la 1ère fois que je lance des fleurs en public.
G.A. : Et vice versa.
C.V. : Pascal et le portrait type de l'artiste avec tout ce que cela peut comporter comme sensibilité, comme talent. Je crois que Pascal, en d'autres temps aurait pu être sculpteur, il fait ça admirablement bien, surtout les sculptures primitives (rires). On s'entend excessivement bien tous les deux, mais c'est comme un couple, nous ne sommes pas toujours d'accord sur tout, mais je crois que quand on lit cette BD, on voit que le travail est presque parfait.
G.A. : Vous avez un mot à dire aux G.A. ?
C.V. : Nous sommes heureux de nous retrouver entre génies...

 

 

INTERVIEW "La Lettre de Dargaud"
Juillet 1999

HARRY DICKSON, DU ROMAN A LA BANDE DESSINEE

Apparue dans les pages de Charlie Mensuel en 1985, la série Harry Dickson (par Zanon et Vanderhaeghe) constitue une adaptation en BD du personnage imaginé par Jean Ray à la manière de Blake & Mortimer. Une recette qui fonctionne parfaitement ! A l'heure où sort en librairie le tome 6, nous avons rencontré l'homme orchestre de cette réussite : Christian Vanderhaeghe.

Pourquoi avoir adapté l'univers de Jean Ray en BD ?
Après la création des éditions Blake & Mortimer avec Claude Lefrancq, au début des années 80, nous n'héritions que du fonds de la série au fur et à mesure de l'expiration des contrats d'E.P. Jacobs, et le tome 2 des Trois formules du professeur Sato à dessiner par le maître... A la recherche de nouveautés et afin de travailler éventuellement sur Blake & Mortimer, nous avons alors contacté Pascal Zanon. Très rapidement, nous est venue l'idée d'une nouvelle série dont le choix s'est porté sur l'adaptation en bande dessinée des nouvelles d'Harry Dickson par Jean Ray, bien entendu dans le plus pur style de l'école de Jacobs, de Hergé et de J. Martin, la célèbre "ligne claire".

Vous revendiquez donc bien cette appartenance ?
Clairement. C'est un choix de génération : Pascal et moi-même, nous avons été bercés par Tintin dans lequel se trouvaient, à ses débuts, en point de mire, Hergé, Jacobs et Martin. Lorsque je suis rentré en BD comme on rentre en religion, j'ai adapté l'univers des maîtres qui m'avaient marqué. Fidèle à mon époque comme mon fils à la sienne : il dévore les mangas !

Ah ? !
Il a été bercé comme téléspectateur, par le Club Dorothée avec ses dessins animés phares : Les Chevaliers du Zodiaque, Ulysse 31, Albator, etc. A 21 ans il lit donc des mangas mais aussi XIII, Thorgal ou Largo Winch, l'influence paternelle !

Vous êtes un nostalgique ?
Non, je ne crois pas. J'apprécie par exemple, en musique, tout autant Elvis Presley que Pascal Obispo tout comme, au rayon livres, Alexandre Dumas ou Tom Clancy.

Harry Dickson est tombé dans le domaine public et une autre adaptation en BD de la série a vu le jour...
Pas tout à fait. Un retour en arrière si vous me le permettez...Face au succès de Sherlock Holmes, au début du siècle, un éditeur allemand, de Dresde, décida de "s'inspirer" de la série de Conan Doyle en créant une série, le Roi des détectives, éditée sous forme de fascicules bon marché et écrite par un collectif d'auteurs. Cette littérature populaire eut un vif succès, y compris en France grâce à sa diffusion par Hachette.
La Première Guerre enflamme l'Europe et met fin à la diffusion de ces séries. Au début des années 30, un éditeur implanté à Gand, en Belgique, se souvient du succès rencontré par Le Roi des Détectives et cherche à relancer cette série aux couvertures accrocheuses de Rolof. Pour cela, il coédite alors avec un éditeur hollandais la série originale allemande qu'il demande à un certain Jean Ray de traduire en français... Cette "nouvelle" série s'intitule : Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain... Sur les 178 fascicules publiés entre 1930 et 1939, une centaine est la création de Jean Ray, les autres sont des traductions ou des textes qu'il a plus ou moins remaniés.
Au milieu des années 60, Henri Vernes, père de Bob Morane, mais également ami de Jean Ray, lui propose, en tant que directeur de collection chez Marabout, une réédition de la série dont les éditeurs originaux avaient disparu dans les flammes de Dresde ou avaient tout simplement fait faillite. Jean Ray accepte la réédition de cette série qu'il estimait "alimentaire". Cependant, c'est la collection Marabout qui donnera la notoriété à Harry Dickson.
Aujourd'hui, et probablement à cause du succès de notre adaptation en BD, des éditeurs opportunistes jouent sur un certain "flou artistique" autour de la paternité du titre Harry Dickson. Mais il n'adaptent pas les nouvelles de Jean Ray, ils s'en inspirent. Entre-temps les ayants-droits de Jean Ray ont confié cette affaire à leur conseil.

Parlons de la nouveauté : il s'agit du tome 6...
...Seulement ! Je sais (rires). Mais nous expliquons souvent que l'école de la "ligne claire" est une école de patience. Comme pour beaucoup de choses qui paraissent simples, l'épuration du trait, la recherche de la clarté, associée à une maîtrise parfaite de l'anatomie et de la perspective, ne peuvent qu'être le fruit d'un génie et n'étant pas des génies d'un long travail... Il en est de même au niveau du scénario où une très riche documentation est indispensable. Pensez aux milliers de bouquins d'Hugo Pratt, aux 13 collaborateurs d'Hergé, aux voyages de Jacques Martin et voyez la production au compte-gouttes de notre ami Ted Benoit. Jacobs, quant à lui, me disait que, épuisé, il n'avait plus la force de rejoindre son lit et s'endormait sous sa planche à dessin.

La Conspiration Fantastique est une histoire composée de deux albums ?
Oui, et cela à la suite des contacts que nous avons avec nos lecteurs au cours de nos nombreuses séances de dédicaces. Puisque ceux-ci nous déclarent qu'ils restent parfois sur leur faim et souhaitent des histoires avec plus d'ampleur. Un album en 2 tomes devrait correspondre à leurs voeux.

On retrouve Harry Dickson en Russie ?
Oui, en plein dans les années 30, période particulièrement intéressante de l'histoire d'Europe et du monde. L'époque où Jean Ray a écrit ses Harry Dickson.
Alors, après l'Amérique et l'été new-yorkais, l'hiver russe et Moscou. Comme beaucoup d'auteurs nous aimons faire voyager nos personnages. Ce qui n'est cependant guère aisé car nous devons recréer toute une époque, un univers en images. Et l'iconographie de la Russie de Staline n'est pas particulièrement facile à trouver en dehors des images officielles. Mais comme j'ai la chance d'avoir été quatre fois en Russie entre 1964 et 1992 et que, en plus, j'y ai été invité pour écrire une histoire de la marine russe, je disposais déjà d'une bonne documentation et d'une connaissance des lieux. N'empêche qu'il faut meubler chaque image. Heureusement Pascal a fait des prodiges !

On retrouve Georgette Cuvelier ?
Oui, bien sûr, "notre" méchante à laquelle nos lecteurs ont l'air de beaucoup tenir. Et cette fois sous un uniforme, si l'on peut parler d'uniforme à propos de notre amie !

(Zanon, le dessinateur, arrive et intervient alors dans la conversation).
Pour moi, ce fut assez nouveau car j'imaginais plutôt le méchant façon Fantômas ou Olrik, entre le génie du mal et gentleman cambrioleur. Alors dessiner une femme qui a ces "qualités" est plutôt amusant. A tel point que dans cet album-ci j'ai même apporté une touche érotique à notre amie...

Non ?
Rassurez-vous (rires), je ne suis pas allé très loin. Juste ce qu'il fallait ! Ce n'est pas du Manara mais Georgette use tout de même de son charme auprès d'Harry Dickson qui, en bon british, reste parfaitement froid, le sot !

Etes-vous allé à Moscou comme Christian Vanderhaeghe ?
Non, mais je connais beaucoup de personnes d'origine russe, ici, à Bruxelles.

Vous vous imagineriez dessiner une série humoristique ?
Oui, mais dans le style dit de "l'école de Bruxelles", dont je suis un adepte... J'avoue avoir été fortement marqué, dans ma jeunesse, par Hergé, Vandersteen, Bob de Moor et quelques autres. Je suis d'ailleurs né dans la même clinique que Hergé et Franquin. J'ai ensuite habité pendant longtemps juste à côté de Jacobs...
On n'échappe pas à son destin.